Ayant de par mon passé donné plus de 6 ans de ma carrière à la formation continue des enseignants, il m’est apparu évident que l’investissement en éducation ne donnait que trop peu d’impact sur ce pour quoi on la faisait au départ, c’est-à-dire à bonifier la réussite des élèves…
Chacun des départements tirant sur sa couverte, les technologies par ici, les intelligences émotionnelles et multiples par là, les CP dans les compétences de bases arrosant des assemblés d’enseignants de leurs croyances et philosophie qui volait sous les notes de passages de l’efficacité en classe, et j’en passe… La lecture, ça devrait s’évaluer par des entrevues… Avec 27 élèves, comment y arriver? Pas important, ce devrait être ainsi. Les math devraient être enseignées par la découverte et la manipulation… Alors que seulement une poignée de main d’élèves arrivent à découvrir, les autres ont perdu leur temps à apprendre plein de mauvaises conceptions de la notion… Qu’on devra défaire avant de réenseigner… Et nous, de retour en classe, on essaie et on pense que c’est parce qu’on ne le fait pas bien, si ça ne fonctionne pas…
L’expertise est tout autour de nous, et même, un peu aussi dans notre classe. En fait, chacun d’entre nous (enseignants) arrive à faire germer plus d’apprentissages chez certains de nos élèves. Alors que l’ensemble de nos pratiques paie peut-être moins pour d’autres. Pendant que certains élèves montent, d’autres baissent. Certains s’engagent et d’autres nous épuisent… Et ainsi va la vie…
Et c’est ce qui me hante depuis plusieurs années c’est la pensée suivante : Pouvons-nous vraiment viser et atteindre qu’une énorme majorité d’élèves puissent connaître des hausses mesurables de leurs apprentissages qui perdureront l’année prochaine? Est-ce que d’autres profs y arrivent mieux que moi, et si oui, où se cachent-ils, que font-ils…
Comme “passe temps”, je me suis mis à mettre près de 400 heures de travail, de nuit et je me suis même acheté un portable de 3500$ pour que mon fichier Excel puisse calculer plus rapidement les tortures que je lui infligeais sur des fichiers de notes de 25 000 élèves du primaire que j’avais…
En connaissez-vous beaucoup de fou qui, ainsi, cherchent dans leurs classes, dans les livres, et dans leur nuit, à trouver une autre alternative, et pas seulement pour ces propres élèves, mais pour l’Éducation? Existerait-il autre manière de faire pour qu’on amplifie tous, collectivement, l’effet que l’on arrive à induire sur la réussite des élèves?
Mais, comme tout fou qui persévère suffisamment longtemps, une réelle découverte, une innovation inspirée, réfléchie, recalculée, vérifiée, amène à la découverte de ce que les autres ne trouvent pas, je pense avoir découvert UN “quelque chose” de nouveau. Enfin, je crois: l’enseignant, sans le savoir, génère une empreinte, une signature dans les résultats des élèves, dévoilant ainsi sur « qui » il ou elle arrive à induire un changement, un apprentissage de certains sous-groupements de ces élèves (gars-filles, jeunes-vieux…). Et cette signature, j’arrive maintenant, de manière un peu précaire certes, mais à la lire.
Et voilà, entre deux clics de souris, suivant des millions, des traces apparaissent… Des effets morcelés entre des enseignants, produisent des hausses des résultats et qui perdurent l’année suivante remontent et sont entendus. Ces chiffres, notes de bulletins chuchotent depuis longtemps, et peut-être qu’enfin, quelqu’un les écoute…
Elles racontent quels enseignants ont de l’effet sur quels élèves. Elles murmurent qui fluctue. Elles dépeignent une réalité, soit la normalité propre à chaque niveau…
Et le plus ahurissant dans tout ça, c’est que personne ne sait l’effet qu’il a. Oui, certains se convainquent avec des données anecdotiques, du style : « En septembre, ce jeune-là ne lisait pas, et maintenant, il lit des Harry Potter ». J’aurais le goût de répondre : « Félicitations, c’est extraordinaire, ça c’est un élève, combien d’autres ont suivi les traces de ce prodige, comment t’y es-tu pris ».
Car oui, je veux vraiment savoir. Depuis 5 ans que je mesure sous toutes les coutures les fluctuations de mes élèves (pédagogie 3.0), mon constat me pétrifie encore : j’en échappe encore certains. Certes, de moins en moins, mais un seul élève qui chute en ma présence pendant un an, et c’est un de trop… Et je ne peux plus continuer ainsi, en échapper et savoir maintenant que ma voisine de classe sait quoi faire avec ces jeunes, et savoir qu’en retour que je pourrais l’aider avec certains de sa classe avec lesquels je réussis dans la mienne… Pas échanger des élèves, mais apprendre des pratiques de ma collègue et amplifier l’effet que j’ai en tentant d’expliquer les hypothèses de mes pratiques.
J’ai besoin d’essayer, de calculer de jour sur mes équations, de rencontrer des gens, et d’introduire ce genre de partage, pas un partage de pratique anecdotique, pas des formations sur « les meilleurs profs font ça », même, pas avec les données probantes… Mais de faire parler les profs entre eux, d’engager tous ces experts morcelés que nous sommes afin de soulager notre tâche à nous tous, pédagogue qui avons choisi ce métier pour avoir un effet… Parce qu’un ou deux profs a eu, un effet profond et clair sur nous dans notre parcours.
Ces élèves que « j’échappe », alourdissent en retour, la tâche de mes collègues, et ces vies de jeunes en formation, se forgent autour de l’échec et du désengagement. Combien de temps encore me laissera-t-on moisir de nuit sur cette solution de valorisation, de réseautage d’expertise? Je ne le sais pas. Mais je continue mes recherches, et, on n’arrête pas un fou ou un sage, on ne peut que l’ignorer, ou le suivre, à 2-3 pas de distance…
L’expertise dont on a besoin enseigne présentement dans toutes nos écoles, maintenant, dans la même réalité qu’est la vôtre. La réussite que l’on souhaite faire apparaître n’est pas dans les sommets en éducation, les livres ou les conférenciers (j’en suis un), mais à la porte à côté de la vôtre, et vous êtes aussi cette « porte d’à côté » pour un ou deux autres collègues. Votre force, d’autres ont besoin de vous entendre, et vous avez besoin d’entendre celle des autres. Et cette force, se détecte maintenant dans les bulletins qui s’impriment sans que grand monde semble y porter une réelle attention…
J’espère ardemment que certains me diront bientôt : « Stéphane, vient ici, on va te donner du temps pour travailler là-dessus. Tu as besoin de 4-5 équipes-écoles qui aiment leurs directions, voici des noms. On va te payer quelqu’un pour vérifier tes équations, car ce que tu as fait est colossal et on veut valoriser nos profs. Viens travailler de jour et repose-toi un peu, on a tellement besoin de savoir qui génère le changement dans notre commission scolaire, et c’est vrai, on ne sait rien de tout ce que tu amènes. On ne sait pas qui génère le changement dans notre commission scolaire. Et il est temps que ça change ».
Un jour, peut-être… sûrement.
WOW! Quelle belle réflexion! Je suis un de ceux qui t’a croisé sur ma route. Tu as su me faire me questionner. J’ai apprécié nos rencontres et les échanges que nous avons eues. Merci du partage! tu es un gars très généreux, ensemble changeons le monde!
“L’expertise est tout autour de nous, et même, un peu aussi dans notre classe” : toute personne travaillant dans ce ministère appelé “Éducation nationale devrait avoir des élèves, au-moins un minimum de temps parce qu’on est là pour ça, par cela et comme cela et pour ceux-là et que tout devient simple à partir de ça…
En voilà un métier où il faut être riche d’autre chose, tout en étant le plus professionnel possible, pourtant, il faut savoir s’en détacher pour s’enrichir des autres car on “apprend pas seulement à l’école”… mais pourtant, il faut fédérer et unir à l’école !
Bonjour Stéphane,
J’aimerais te dire: “viens, on va travailler ensemble”… Mais à un moment de ma vie, j’ai décidé d’être sur mon “ON” professionnel de 8 à 4…
Je veux juste te dire que, du côté du corridor où je réside avec mes collègues CP, on fait beaucoup du chemin pour sortir de l’anecdotique avec les profs qu’on soutient, qu’on n’est plus des preachers de petites recettes ou de grandes idéologies, que par la porte de l’évaluation en aide à l’apprentissage et des CAP, on fait doucement s’ouvrir tout plein de paires d’yeux pour regarder, mieux analyser et comprendre l’effet qu’on a sur l’apprentissage des élèves. Il nous manque assurément le Big Data… Ça viendra…
Mais d’ici là, je veux simplement te féliciter de tout le chemin que tu déblais. Et qui montre que c’est possible.
Chapeau!